Dans le calme majestueux du long sentier qui serpentait entre les
arbres millénaires de la forêt le poète (1) , heureux de se retrouver
de l'autre côté du rêve , se rappela sa pensée d'autrefois : " Tout porte
à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où le réel et
l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et
l'incommunicable, le haut et le bas , la vie et la mort cessent d'être
perçus contradictoirement. "
Une question persistante l'accompagnait dans son périple :
Chaque jour de notre existence nous rend-il plus lucides ou bien
contribue-t-il à interposer entre nous et les choses des voiles
successifs ?...Comme la vitre dont parle Sartre : " transparente aux
choses et opaque aux significations ".
Mais de toutes les pensées qui jaillissaient du fond de sa mémoire , l'une avait sa préférence ... plus que toutes les autres :
"Heureux celui qui ... comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes." (2)
Layachi Hamidouche , novembre 2018
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(1) André Breton
(2) Baudelaire |
« Les trois marches »
Un intitulé en mode symbolique qui n'est pas sans rappeler que l'homme
est un apprenti et qui plus est, que « la douleur est son maître ».
« Petitesse de l'homme mais aussi grandeur de sa pensée qui ne
désespère pas de comprendre les choses » ( extrait de la légende de « La naissance de Sedna » )
Idée directrice de bon nombre d'œuvres de Layachi Hamidouche.
« Les trois marches »
Une œuvre qui n'échappe pas au phénomène d'un rendu de décor théâtral,
avec, d'un côté, le monde profane, de l'autre, le monde des initiés, le
monde de la quête de la connaissance, de la recherche du Savoir et de
l'Idéal.
Le monde de l'envol susurré et de la chute assurée...
Le monde de l'être et du non- être...
Le monde du rêve et de la réalité...
Le monde terre à terre et le monde de la libération de l'imagination...
Le monde du hasard...
Le monde de l'infini...
Le monde la construction et de la déconstruction...
Le point ! Le fameux point !
Tout se rejoint dans l'infini !
C'est là que le rapprochement de Breton et de Baudelaire osé par
Layachi me paraît particulièrement justifiable et judicieusement
justifié car il est aussi question de « concentration et de dilatation
du moi ».
« Les trois marches »
Une œuvre qui fait que l'on ne peut faire l'économie de la référence allusive de l'artiste à « Élévation » de Baudelaire.
Il y est question d'« existence brumeuse », une figure de style à la
profondeur du flou et du brouillard, une métaphore à la hauteur du
désir d'évasion en recherche d'idéal pour fuir la difficulté de vivre.
Un désir de partance pour un voyage spirituel doublé d'une désespérance
devant l'implacable et regrettable incapacité à atteindre l'Idéal!
Éloge de l'en-haut inaccessible comme l'est le langage de l' invisible,
« le langage des fleurs et des choses muettes »
Il y est question d'alouette, une façon de liaison entre la terre et le ciel...
« Les trois marches »
Une œuvre qui a quelque chose de « L'arbre des hasards extrêmes » et de « Les lentes certitudes »...
« Peindre est-ce une poésie des formes et des couleurs qui nous permet
de découvrir, sous l'océan des apparences, les tumultes récurrents des
impérissables silences ? »
Une interrogation légitime et légitimée par les œuvres éloquentes de Layachi .
Et au plus près de l'œuvre...
De l'en-deçà et de l'au-delà des trois marches...
Un face à face de deux arbres des hasards, comme deux ceps géants aux
allures de silhouettes africaines, deux troncs noueux et noués d'aléas
( le hasard ! ) sur fond de tons ocres et de teintes chaudes du monde
profane ...
Fantasmagorie ?
Un duo en lutte contre la déréliction, un duo en face à face avec le culte du hasard objectif...
De la confrontation à une réalité opaque et impénétrable ( l'existentialisme ) .
A ces arbres ...accrochés...des anneaux de Mœbius, ( rappel de l'infini ), empreints de clés ( Savoir ? Obscurantisme ? )
Femmes en pilier, l'une tenant le temps plié et l'autre, comme tout
droit sortie d'un tombeau Égyptien avec sa tête à la coupe sagittale et
son déroulé de passementerie semblable à un cordon d'appel relié à un
double organeau.
Un semblant de « houppe dentelée », lien entre les mondes terrestre et céleste ? Mystère ...
Récurrence des rameaux énantiomorphes et présence nouvelle d'une
orchidée dorée ... signature- fantaisie de l'artiste ? Orchidée, symbole
de la masculinité ?
Et puis, une fois les trois marches franchies, une fois le seuil passé,
une avancée vers l'inconnu sableux vitrifié de bleu, un turquoise glacé
de mystère spéléologique, un éclat de la « table d'émeraude » échoué
pour rappeler la correspondance inéluctable du Haut et du Bas ?
Une approche timorée de l'Absolu et de l'Idéal...
Et puis, au fond ce monochrome de vert bouteille brisé, ouvert sur
l'univers, comme une ponctuation en interrogation d'abstraction
...cette conscience faite vitre dans l'Etranger, celle que Camus
installe entre Meursault et le lecteur, cette vitre qui laisse passer
tout sauf le sens des gestes, cette vitre dont parle Sartre ...
« transparente aux choses et opaque aux significations »
De l'autre côté de la vitre, comme « de l'autre côté du rêve » ...
On pourrait continuer longtemps tant ton œuvre est riche de ses
légendes légendaires et de ses symboles qui forcent au voyage immobile
de la lectrice et de l'admiratrice de l'artiste hors du commun que tu
es Layachi.
Merci, merci, merci.
Francine Ohayon , le 23 novembre 2018
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