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TASSILI-MAGAZINE |
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Layachi
Hamidouche , Peintre
L'homme face
à son destin
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et au temps qui passe
« Une œuvre d'art est une entaille dans le tronc
éternel du temps », dit Layachi Hamidouche. Quel que soit son
auteur, l’œuvre d’art ne peut être plus que cela ; et c’est déjà
beaucoup. Par le savoir et par l’art, l’homme se distingue de l’animal
en aspirant toujours au meilleur, au beau. Cette recherche de beauté
est fondamentale, même si elle n’est qu’une petite et modeste entaille
dans « dans le tronc éternel du temps ». Dans son vœu d’être
– durant sa vie – et de demeurer –après sa mort –, l’homme crée,
invente, élabore. Liés à son instinct de survie, sa mission et son
devoir d’humain lui imposent de laisser une œuvre qui le distingue des
autres êtres vivants. L’art pose les questions et tente les réponses
que l’humain essaie de donner aux grands mystères de l’univers. L’art
s’inscrit dans cette perspective esthétique, qui rentre dans la quête
millénaire de résoudre les grandes énigmes métaphysiques – sur la vie
et la mort, l’avant et l’après, le grand et le petit, le mort et
le vivant, le temps et l’éternité… C’est dans cette perspective que
s’inscrit également la pratique de Layachi. Car sa peinture est plus
qu’une recherche du beau, plus qu’une quête plastique et graphique sur
une surface déterminée, plus qu’une expérimentation chromatique, plus
même qu’un questionnement esthétique et technique sur l’espace du
tableau, sur ses formes et ses dimensions ou sur le mystère de la
perspective qui permet de rendre les différents plans d’une scène.
Évidemment, Layachi pose les questions fondamentales de l’art, questions que beaucoup de peintres contemporains, pris dans la fainéantise des modes, ne se posent plus, se contentant de répéter des slogans creux qui sous-tendent des œuvres tout aussi creuses. En revenant aux fondements de la peinture (le dessin, la couleur, la composition, l’harmonie, le rythme, la perspective), Layachi traite des problèmes essentiels, car toute peinture digne de ce nom se doit d’apporter du nouveau en matière esthétique et plastique. Dans cette perspective, il revisite la Renaissance – Michel Ange, Leonard de Vinci, Raphaël –, les classiques comme Frantz Hals, Vermeer de Delft et Rembrandt… Ce retour est productif dans la mesure où il s’articule sur une vision moderne qui permet de rentabiliser le passé au lieu d’en être un utilisateur passif. L’enjeu est justement d’essayer de trouver des réponses et des possibilités nouvelles dans l’usage de la perspective, de la couleur, de la composition, de l’harmonie... Revisiter l’histoire c’est également reconnaître, en toute humilité, la continuité de la pensée et de la sensibilité humaines depuis la nuit des temps.
Il y
a chez lui du Fra Angelico, car les personnages de Layachi baignent
dans une innocence et une douceur angéliques. On devine aussi un
peintre comme Domenico Veneziano (vers 1400 - 1461), un italien dont le
style se caractérise par une grande luminosité, l'emploi d'une palette
de tons clairs et par la création de grands espaces. Comme certains
artistes de la Renaissance, Layachi utilise des couleurs peu naturelles
et une lumière très forte qui annule les ombres ou en accentue les
proportions. Ses œuvres sont tellement imprégnées du passé, présent à
travers un grand nombre de références et de symboles, mais ses scènes
et ses situations semblent intemporelles et pourraient appartenir aussi
bien à l'histoire qu’au présent ou au futur. Les frontières du temps y
sont bannies, un peu comme dans la peinture religieuse. D’ailleurs, par
certains aspects, cette œuvre se rapproche de la peinture sacrée
orientale ou occidentale, dans la mesure où elle pose les questions de
l’existence en des termes de croyant, pas en termes agnostiques. Il n’y
a certes, chez Layachi ni anges, ni saints, ni madones mais son univers
semble géré par une Force immanente, à laquelle et l’homme et les
choses se plient.
Si l’influence de Rembrandt est marquante dans son œuvre, il faut ajouter que la Renaissance tout entière y pèse, comme une humble reconnaissance de l’importance de cette période pour l’histoire de l’art depuis cinq siècles au moins. Layachi reste également marqué par des mouvements comme le symbolisme (Gustave Moreau, Odilon Redon…), les nabis (Bonnard, Vuillard ...) mais il s’inscrit dans une perspective plus large que chacun de ces mouvements, qu’il a certes assimilées mais pour produire un langage personnel qui synthétise sa sensibilité et sa connaissance propres. Il revisite aussi certains courants modernes comme le surréalisme, un mouvement qui s’articule sur la découverte du subconscient et fait ressortir cette partie sous-jacente de l’être et de la personnalité. Le surréalisme a apporté cette fonction que l’art actuel ne cesse de perpétuer. Une connaissance profonde de l’histoire de l’art est donc mise à profit avec intelligence et sensibilité, car il y a toujours à creuser dans le passé. Comme certains peintres contemporains, Layachi y retourne et il semble être l’un des mieux inspirés et des plus puissants.
METAPHYSIQUE ET MATHEMATIQUES Layachi
pose des questions de plusieurs ordres, d’abord esthétiques et
technique, puis philosophique et métaphysique : sur l’existence,
sur la vie, sur le temps et sa relativité, sur l’espace, sur le visible
et l’invisible, sur le réel et l’imaginaire. Il y a rarement plus de
deux personnages dans ses toiles. Même quand ils sont deux, en train de
jouer aux échecs ou de marcher, ils semblent isolés, engoncés chacun
dans son univers mental. Parfois c’est une femme ou en enfant assis ou
en train de marcher dans un immense espace, un espace qui symbolise
l’existence même. Ce vaste espace, où l’humain est livré à sa grande
solitude, rappelle les boulevards et les grandes places représentés par
René Magritte, Chirico et Balthus. Dans cette immensité spatiale,
solitude et silence font corps. Entrent alors en jeu les artifices
et moyens inventés par l’homme pour rompre le silence et briser la
stridence du vide : un jeu d’échec, un instrument de musique, un
livre, un dé, la balance, le pendule, l’horloge, le cube, la pyramide…
Des instruments dérisoires qui permettent à l’homme de ne pas se sentir
seul dans le temps infinitésimal que la vie lui a destiné. Objets
dérisoires et essentiels en même temps, tout comme la peinture et les
autres outils qui nous aident à vivre et font passer le temps. Les
images et les symboles de Layachi évoquent parfois le surréalisme dans
la mesure où ils réfèrent au subconscient mais cette peinture n’est pas
surréaliste car elle s’articule sur le conscient pas sur l’inconscient.
Cette expression pourrait être plutôt rapprochée de la peinture de
Gustave Moreau, même si les thèmes de Layachi n’ont rien à voir avec la
mythologie et sont beaucoup plus vastes et riches.
Portant
une grande attention aux structures et à la physique, Layachi
s'intéresse aux problèmes de la représentation du volume, du poids, de
la pesanteur, du mouvement des figures… Il est certain que si les
artistes de la Renaissance et les classiques ont abordé ces problèmes,
ils ne leur ont pas tous trouvé des réponses. D’ailleurs, ces questions
sont plus vieilles que cela en peinture et remontent à la préhistoire,
depuis Lascaux, Altamira et le Tassili. Car les préoccupations des
artistes ont toujours été de comprendre le monde qui les entoure, et
celui-ci est fait d’abord et avant tout de formes dans l’espace, avec
des dimensions et une durée. Dans cette quête, où Orient et Occident se
rencontrent, Layachi rejoint les Arabes comme les Européens qui ont
essayé de comprendre les règles générales relatives aux proportions, au
rendu de l'espace, à la restitution des apparences de la nature, des
dimensions... « Les
perspectives, les constructions géométriques, les cubes, les sphères,
les cylindres, les pyramides sont des éléments propres aux
mathématiques mais n’expliquent pas tout. Notre vision du monde est la
résultante de tous les évènements qui constituent la trame de notre
vie, de la naissance à l’instant présent, » écrit Layachi, qui
rappelons-le fut un professeur de mathématiques. Son œuvre renvoie aux
sciences, à la physique comme à l'astronomie, mais aussi à la
métaphysique pour tenter une explication de la vie et de l’univers...
Les symboles de ce peintre accentuent et précisent ces renvois, nous
indiquant parfois un chemin de compréhension ou noyant encore l’énigme
dans plus de confusion. Certes, la symbolique récurrente de
Hamidouche est orientale, occidentale et méditerranéenne mais elle peut
déborder vers l’Extrême Orient : chez lui, les civilisations se
chevauchent, s’appellent l’une l’autre, dans un perpétuel brassage des
cultures. De nombreux objets sont récurrents dans son œuvre, mais leur
symbolique dépend du sens que chaque spectateur leur donne. Parmi ces
symboles, il y a d’abord des personnages et des organes : la
femme, l’homme, le vieillard, l’enfant, l’œil, la main. Il y a aussi
l’arbre, la forêt, le chemin, le cheval, le château, les escaliers, la
clé, la chaise, la balance, le pendule, l’horloge, le cube, le cube
ailé, la sphère, la sphère ailée, la pyramide, la guitare et le jeu
d’échecs, dont la symbolique est presque identique dans toutes les
civilisations avec quelques variantes locales. Chez Hamidouche, la
symbolique procède d’un langage qui aspire au dépassement des
spécificités locales dans une volonté d’élévation à l’universel. Parce
qu’elle est une puissante expression du local, cette symbolique est
d’une densité et d’une force
Ici, les
symboles ne sont pas restitués tels quels ou dans un langage au premier
degré mais combinés d’une façon poétique et inattendue qui donne cette
densité polysémique à l’œuvre. La peinture de Layachi est alors
élaborée comme un livre interminable dont les chapitres sont des toiles
qui naissent au fur et à mesure. La présence de la guitare et de
l’échiquier dans plusieurs tableaux est un vestige du temps
considérable qu’il a consacré à la pratique de cet instrument et de ce
jeu. « Dans le jeu d’échecs il existe des milliards de variantes
possibles entre le premier et le dernier coup d’une partie. Une ou
plusieurs vies humaines ne suffisent pas à les noter toutes, » écrit
Layachi. Quelle piste suivre dans la vie, quel chemin emprunter ?
Le hasard et le destin se conjuguent dans l’existence, semblent
indiquer les différents symboles de la toile.
Les objets et personnages sont dans des situations et des environnements « irréels » ou « proches du rêve ». Mais ces scènes sont-elles si irréalistes et imaginaires que cela ? Comme dans le rêve, les images et symboles de Layachi ne reproduisent pas des visions connues : ils produisent des sensations et des situations qui basculent l’esprit dans une démarche de questionnement et de quête, une démarche qui indique que d’autres logiques sont possibles, qu’il faudrait peut-être accepter d’autres dimensions comme probables. Est poétique cette peinture qui autorise d’y voir les allégories et les symboles que nous souhaitons. Ainsi, l’arbre qui est au centre de l’œuvre est représenté comme un tronc avec ou sans ses branches. Cet arbre peut être perçu comme vivant ou mort, selon l’appréciation de chaque spectateur. Il symbolise donc à la fois la vie, la solidité, la structure et l’enracinement à la terre, comme il représente la mort si on n’y voit qu’une souche. Cette
peinture est une méditation profonde sur l’Homme dans sa grandeur et sa
petitesse, l’homme dans l’Espace, face au Temps et aux questions
fondamentales qui le taraudent et auxquelles ils ne trouve pas de
réponse : d’où vient-on ? Où va-t-on ? Pourquoi
est-on ?
Ponctuée par des œuvres puissantes, les plus puissantes de l’art algérien, cette peinture est aussi faite de chef-d’œuvres, un terme que j’emploie pour la première fois au sujet d’un artiste national. Cette peinture articulée sur une grande culture, il serait plus juste de la rapprocher du réalisme merveilleux tel que nous le connaissons dans les romans de Marquèz , d'Alejo Carpentier, Carlos Fuentes, Julio Cortàzar, Mario Vargas Llosa ou Boudjedra. Elle possède une même force de l’imaginaire, une même densité symbolique , une polysémie du langage, une beauté qui allie mystère et profondeur, où le sens évident est traversé par d’innombrables significations possibles. Dans cette expression, il y a du fantastique, du baroque et du merveilleux, au même titre que ces caractéristiques se retrouvent dans l’œuvre littéraire des écrivains cités plus haut. A cela, il faudrait ajouter une dimension métaphysique qui est chez Layachi et qui n’est pas chez ces auteurs. Par contre, il n’y a aucune allusion à la politique ou à l’idéologie dans l’œuvre de notre peintre qui s’intéresse à l’Homme, pas à la société ni à ses problèmes de survie et de quotidien. Chez lui, il ne s’agit pas des angoisses des individus, ni des joies de la vie, ni des anxiétés psychologiques ou des privations physiques ou morales, mais d’un questionnement beaucoup plus profond sur le sens même de la vie : comment sommes-nous dans ce monde et cette existence, pourquoi sommes-nous ? Ponctuée par un puisant lyrisme, cette œuvre majeure de la peinture algérienne laisse aussi transparaître un peu de mysticisme. Evidemment, Layachi est un grand lecteur, un avaleur de romans et, comme on le devine, un dévoreur de livres de science fiction. Sa grande culture et sa sensibilité apparaissent aussi dans ses titres : Le triangle orthique, Impérissables écumes des ombres, A l’ombre des lumières bienheureuses, Au seuil des joies tétraédriques, Extase en rouge majeur, Naissance et agonie des instants… Layachi travaille à l’huile, à l’acrylique mais réalise aussi ses peintures sur ordinateur. Ali EL HADJ TAHAR |
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